-  glitter dancing — ripley -

Tu n’es pas spécialement attiré par le repos, les vacances… Tu n’as jamais été du genre à rester inactif sous prétexte que tu n’es pas tenu de t’habiller et de filer au boulot. Si j’apprécie de m’affaler dans le canapé une heure ou deux, le temps de partager un film ou quelques épisodes d’une série avec Bailey qui a cette affreuse manie de tout commenter tout le temps ; j’éprouve toujours très rapidement le besoin de me rendre utile, de m’occuper l’esprit d’une manière ou d’une autre. Je n’ai pas peur d’avouer vivre pour mon travail, lorsque la passion est au rendez-vous il est tout simplement difficile de décrocher. La médecine, elle évolue constamment, quotidiennement, et je garde toujours un œil sur les derniers articles publiés, sur les recherches, les essais menés pour arriver à battre certaines maladies pour lesquelles nous n’avons pas ou peu de moyens efficaces. Tu as toujours insisté sur l’importance de la famille, mais tu sais que Bailey a bien grandi et que Lewis est très occupé au bureau, lui aussi. Te voilà donc seul face à toi-même. Tôt ou tard, Bailey quittera notre nid douillet pour voler de ses propres ailes. Je sais qu’il y pense parfois et c’est normal, à sa place, il y a fort à parier que j’aurais pensé pareil si je ne m’étais pas transformé en père dévoué au lycée. Tu veux qu’il mène une vie qui lui permet un épanouissement total, le moins de temps il passe ici, le mieux tu le sens et c’est la seule chose qui importe. Même si tu dois affronter une sorte de solitude que tu détestes ressentir. Un footing sur la plage, à quelques pas de notre terrasse, une petite heure passée derrière les fourneaux et un SMS envoyé ce matin à Elie pour lui proposer d’aller boire un café. S’il m’a tenu au courant de son rétablissement, je préfère malgré tout en avoir le cœur net. Tu connais les artistes, tu sais qu’ils peuvent facilement minimiser les blessures qu’ils ont pour se remettre au travail plus vite, quitte à endommager ce qui leur permet de briller sur scène. Une entorse mal soignée pourrait l’embêter plus longuement et c’est justement ce que je tiens à éviter.
Une douche, un passage par une daily routine nécessaire pour avoir ce teint royal et cette peau à la douceur jalousée par quelques-uns de mes collègues et me voilà parti, à pied pour profiter du beau temps, en direction du café où je lui ai donné rendez-vous. Tu es pile à l’heure, comme toujours. Même si la réputation des médecins semble indiquer que vous n’êtes jamais ponctuels, tu prends un malin plaisir à prouver le contraire à tout le monde. J’entre dans le café et analyse rapidement la salle, à la recherche de mon vis-à-vis. Un sourire étire mes lèvres lorsqu’enfin je le trouve et m’approche de lui. « Bonjour, comment vas-tu ? Tu n’as pas trop attendu, j’espère ? » Je suis du genre impatient, l’idée de pouvoir provoquer le même sentiment chez quelqu’un d’autre m’inquiète toujours. L’employé, tel un requin attiré par le sang, ne tarde pas à nous bondir dessus. « Hmmm… Un grand café crème s’il vous plait. Et toi ? Que puis-je t’offrir ? »

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Je profite de la présence d’un serveur qui, je le devine, est déjà forcément passé par là lorsqu’Elie est arrivé et qui doit s’impatienter de recueillir la commande de notre table. Forcément, on aurait toujours tendance à penser que le travail est mal fait lorsqu’une table semble vide comme la nôtre, avec une carte déposée depuis plusieurs minutes. Plus d’un patron, sans connaitre le contexte de la présence d’Elie, pourrait décider d’utiliser un tel motif pour remettre à sa place un employé de façon on ne peut plus injuste. Je ne lui en tiens donc pas rigueur et opte pour un café sans trop creuser le menu des boissons et des spécialités de l’enseigne. La réaction du jeune Moon fait s’étirer mes lèvres en un fin sourire amusé. Ses joues s’empourprent et je trouve cela extrêmement mignon. « Je ne suis pas obligé, en effet, mais j’en ai envie. » Je marque une pause, toujours aussi amusé par la gêne qui semble s’emparer de lui et reprend, l’air de rien. « Tu sais ce que l’on fait, dans ce genre de situations ? » Je marque une pause, comme pour pouvoir recueillir ses impressions avant de révéler ce qui semble être la réponse à un immense mystère. « On remercie la personne qui nous offre un café et on le savoure encore plus. » Un clin d’œil ponctue mes paroles et je profite de ce moment de flottement pour enchainer, sans perdre une seconde. « Comment va ta cheville ? Le gonflement s’est estompé ? Sur une échelle de un à dix, comment qualifies-tu la douleur lorsque tu poses le pied par terre ? Lorsque tu fournis un effort, par exemple en dansant ? J’espère que tu as bien laissé passer quelques jours avant de te remettre à danser, comme je te l’avais demandé. » Des questions classiques pour établir un premier diagnostique avant la deuxième étape. « Peux tu tendre la jambe et poser ton pied sur ma cuisse ? Que je puisse jeter un coup d’œil à ta cheville ? » Je recule légèrement ma chaise pour lui laisser un espace plus important et tapote mes cuisses, comme une invitation… Pour sa cheville, bien entendu. À quoi pourrais-je donc bien l’inviter d’autre ?

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Tu prends le temps d’analyser ses traits, ses réactions, son regard qui ne cesse de chercher à te fuir. Tu trouves cela touchant, peut-être même marrant mais tu n’es pas du genre à rigoler des autres lorsqu’ils ne sont pas inclus dans le processus. Il semble terriblement gêné d’être ici, encore plus lorsque je lui propose de lui offrir cette boisson. Rien de plus naturel pourtant. Je suis celui qui lui a proposé d’improviser une sorte de rendez-vous officieux parce qu’il ne voulait pas repasser par l’hôpital pour assurer le suivi. Tu sais qu’une entorse ne nécessite pas spécialement un check-up si le patient ne se plaint pas de douleurs vives. Tu connais néanmoins les artistes et tu sais qu’ils peuvent parfois agir par passion, au risque de commettre des dégâts qu’il est ensuite difficile de réparer et qui peuvent briser des vocations. Je suis également celui qui lui a proposé de prendre un café. Ne parlons même pas d’âge, je l’emporte sur tous les termes qui me viennent à l’esprit et ne pas lui offrir cette consommation sonnerait comme un acte impardonnable. Il m’en faut effectivement très peu pour me sentir coupable, un problème majeur quand on a bon fond et que l’on imagine possible de rendre tout le monde heureux ce qui, spoiler alert, ne semble pas vraiment pouvoir être le cas. Tu auras beau tout mettre en œuvre pour contenter tout le monde, il y aura toujours quelqu’un pour manifester son mécontentement.

Je passe du coq à l’âne, comme à mon habitude, et me repose très largement là-dessus pour combler le silence qui menace de s’installer et de rendre l’instant encore plus embarrassant. Que le lieu soit approprié ou non, j’avoue ne pas me poser la question et ne pas m’inquiéter du regard des autres. J’ai arrêté de prêter attention à tout cela il y a des années, lorsque j’ai décidé de m’installer avec mon meilleur ami pour élever notre fils. Cette simple description attire déjà les regards de quatre-vingt pourcent des gens qui t’entendent parler. Ils débordent tous de questions, au sommet desquelles le désir de savoir si vous couchez également ensemble. Le genre humain est prévisible et désolant. J’ai appris à ne plus accorder la moindre importance à l’avis des autres grâce à cela, je ne risque donc pas de m’en plaindre. Pas totalement. Il tend sa jambe et j’en profite pour lui retirer sa basket, pour baisser sa chaussette dans la foulée. « J’ai les mains froides ! » Je lui attrape le pied, une main le long de son tendon d’Achille, une autre contre sa plante. J’effectue quelques mouvements, le regard successivement rivé sur sa cheville puis sur lui, à la recherche de la moindre petite réaction. Ses indications sont précieuses et m’aident à affiner mon diagnostique. « La bonne nouvelle, c’est que tu es sur la bonne voie. Si tu continues à te ménager, tu devrais être complètement débarrassé de tes douleurs d’ici une ou deux semaines grand maximum. Il n’y a plus aucun signe d’inflammation… Tu seras bientôt comme neuf ! » Je termine sur un clin d’œil, les mains occupées à lui remettre sa chaussette. « Tiens, je te rends ta basket ! Belle série, d’ailleurs ! » J’ai toujours adoré les baskets, au point où ma partie du dressing regorge de paires. « Avec plaisir, tu bosses sur quel type de danse ? Quelle chanson ? » Je suis toujours très curieux dès lors qu’il est question de danse. Bailey m’a appris à le devenir avec les années. Lorsqu’il répète, il ne faut pas seulement observer, il faut prendre en compte l’ensemble des éléments pour l’aider à définir si l’intention est correctement retranscrite, si l’espace est bien utilisé, si l’émotion est en accord avec l’histoire racontée par la chanson… J’ignorais qu’il existait autant de variables avant de le voir travailler jour et nuit là-dessus.

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