-  (1m) i'll be yours through all the years. -

Elle se tourne, se retourne, n'arrivant pas à trouver le sommeil. Ses yeux sont rivés sur cette place vide à côté d'elle puis se dirige sur le plafond blanc de la chambre. Et puis la lumière de la salle de bain s'allume. Il est rentré. A trois heures du matin. Son boulot lui prend de plus en plus de temps. Avant, il débarquait pour le dîner et au fil du temps, elle s'est presque habituée à manger seule. Et à se coucher seule maintenant. La solitude était sa seule alliée ces derniers temps. Le travail, encore le travail et toujours le travail, c'était cela l'excuse de Gabe et cela devenait pesant. Vraiment pesant. Il avance, à pas feutré et dans la pénombre, dans la chambre jusqu'au lit pour ne pas la réveiller. Elle ferme les yeux instantanément, comme pour ne pas lui donner la satisfaction de penser qu'elle l'attend désespérément à la maison. Il est beau, Gabe. Même en étant farouchement en colère contre lui elle le trouve toujours incroyablement beau et ce depuis le premier jour. Presque trop beau pour être avec une fille comme elle. Alors elle a commencé à se poser des questions. La délaisse-t-il vraiment pour aller travailler comme il le dit si bien ou se lasse-t-il d'elle et fréquente-t-il quelqu'un d'autre? C'est l'éternelle question qui revient à chaque fois et qui lui met la boule au ventre. Elle a peur. Peur qu'il voit en une autre quelque chose de meilleur. Qu'elle soit plus jolie, plus ambitieuse, plus drôle, plus. Plus plus qu'elle. Alors elle arrondie les angles, se tait de ses absences, s'excuse quand il ne le faut pas. Pour ne pas qu'il l'abandonne.
Alors qu'il se glisse dans leur drap, elle se tourne dos à lui. Comme pour se cacher, comme s'il pouvait lire sa tristesse sur son visage. Une énième dispute a éclaté au sein de leur maison alors qu'il lui annonça qu'il avait accepté de partir plusieurs semaines pour se faire un peu plus d'argent. Ils sont arrivés à un point de non-retour. Ils ne se comprennent plus. Gabe fait tout pour lui apporter une vie agréable, Moïra voulait juste qu'il soit plus présent dans sa vie. Un dialogue de sourd s'est installé ce soir alors qu'elle a enfin fait éclater sa lassitude de cette situation. Trois derniers mots ont claqué dans l'air alors qu'il fuyait le domicile.
Je te déteste.
Elle ne le déteste pas. C'est faux. Ces mots étaient sortis tout seuls, comme si son corps et sa tête étaient en désaccords. Finalement, après quelques minutes sans bouger, le bras de Gabe encercle la frêle taille de Moïra pour la rapprocher encore un peu plus de son épiderme. Un poids se retire de sa poitrine et elle se rassure, un peu. Sa tête s'est nichée au creux de son cou dénudé. « Je suis désolé. Je n'aurais pas du fuir comme ça, c'était stupide. » murmure-t-il alors, son nez frottant délicatement contre son oreille. Les pupilles de la jeune femme s'ouvrent doucement. « Je vais refuser de partir, si c'est ce que tu veux vraiment. Je ne veux pas te voir triste. Jamais. » continue-t-il, alors que ses mains caressent doucement ses bras, cette dernière se tournant face à lui. « C'est moi qui m'excuse. Je ne te déteste pas, c'est faux. » chuchote-t-elle, scrutant le moindre recoin de son visage si familier. « J'ai juste peur que tu ne m'échappes... » lui confie-t-elle. Il la regarde un moment, interloqué qu'elle puisse penser ça. Ses doigts se posent doucement sur sa joue, alors qu'il hoche la tête de gauche à droite. « Je t'interdis de penser à ça. Je t'aime et bientôt nous ferons de merveilleux et beaux enfants. Ce sera avec toi et personne d'autre. » déclare-t-il, posant son front contre le sien. Elle ferme un instant les yeux. Des promesses, de l'espoir, c'est tout ce qu'elle attendait.
Et puis elle ouvre de nouveau les yeux. Le soleil a fait son apparition depuis un moment déjà. Moïra émerge difficilement et quand elle se tourne, le lit est vide. Elle refaisait ce rêve, encore et encore. Ce rêve où cette nuit là, Gabe était rentré pour ne jamais repartir. Il n'est jamais revenu. Après leur dispute, il avait décidé de partir en mer afin de prendre un peu de recul pour deux. Il avait disparu et seul l'épave du bateau subsistait. Elle a mal Moïra. Mal d'avoir perdu l'homme de sa vie. Mal de ne même pas savoir s'il est de ce monde ou s'il est mort. Deux années qu'on lui a arraché l'être aimé et ses derniers mots ont été "je te déteste". C'est elle, qu'elle déteste, de ne pas lui avoir dit à quel point elle l'aimait follement.

Le soleil se glissent entre les lames des stores pour venir se lover tout contre son épiderme. Un rayon vient se prendre contre son visage, ce qui lui fait plisser le nez et les yeux. Tout doucement, ses paupières battent pour finir par s'ouvrir péniblement. Plaqué contre sa taille, un bras protecteur qui a ramené il y a quelques heures son corps contre celui de son hôte. Alors Moïra ne bouge pas et se contente de frôler sa prison de chair du bout de ses doigts, glissant même ses doigts entre les siens pour ramener sa main à sa bouche et lui déposer un baiser. Un geste anodin, mais qui paraissait encore impossible il y a peu. Comme ce bras contre elle, ce corps contre le sien, son souffle cognant sur son cou et son odeur imprégné dans la totalité de cette chambre. C'en est presque surréaliste.
Avalon et elle.
Elle et Avalon.
Eux deux, ne formant qu'un.
Pour la première fois depuis des années, elle a l'impression que dans ses bras rien ne pourrait lui arriver. Un peu comme si elle était exactement là où elle devait être. Comme si que, peu importe le chemin emprunté, les obstacles rencontrés, les faux raccourcis pris, l'arrivée ne pouvait être inévitablement qu'ici. Moïra a souvent entendu de la bouche de ses proches qu'Avalon était son âme-soeur. Alors souvent elle a rit, se disant que oui, sûrement, une âme qui est soeur à la sienne. Soeur et frère. Voilà comment ils ont organisé leur relation depuis toutes ces années. Réprimant le moindre sentiment étranger à cette résolution de toutes leurs forces. Mais hier, alors que la pluie battait, leur passion, leurs non-dits, leurs silences ont finalement explosé, certainement des sentiments beaucoup trop forts pour être contenus. Et mon dieu que ce fut libérateur.
Finalement, Moïra finit par repousser doucement le bras de Val afin de s'asseoir sur le lit. Elle attrape ses affaires de la veille afin de se rhabiller et ses prunelles divaguent pour finir par se poser sur le cadre présent sur la commode en face d'elle. Au fur et à mesure, les secondes s'égrainent et son regard se voile.
Gabe.
Moïra en observe les moindres recoins. Sa robe blanche à elle, son sourire à lui. Et puis soudainement, tout reprenait son sens. Et Avalon dans ce lit n'en avait pas. Alors, prise de panique, elle boutonne le dernier bouton de sa chemise et jette un regard à Val, scrutant la moindre parcelle de son visage, comme si c'était la dernière fois qu'elle le voyait. Son coeur devenait soudain aussi lourd que du plomb. Elle avance sa main, prête à caresser son bras, avant de se raviser, pour finir par quitter sa propre maison, le coeur meurtri.